Qu’est-ce que l’« Observatoire de la Petite Sirène » ?

Face à l’offensive médiatique de l’Observatoire de la Petite Sirène contre la prise en charge des mineur·es trans, de nombreuses associations et collectifs se sont réunis pour alerter et expliquer ce qu’est ce groupe d’influence.

Dans une enquêtedu 17 mai 2022, Mediapart levait le voile sur les agissements de l’Observatoire Petite Sirène, également nommé “Observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent”.

Des liens avec des mouvances extrémistes

Cet auto désigné  « observatoire » est en fait un collectif fondé à l’occasion de la publication d’un appel, le 27 février 2021, adressé à une large liste de psychanalystes, avec pour vocation de “lancer l’alerte” sur les soins accordés aux adolescent•e•s trans. Parmi la poignée de co-signataires de l’appel et co-fondatrices du collectif: Aude Mirkovic, figure de la Manif pour Tous et issue du rock identitaire français ; Olivia Sarton, directrice scientifique de Juristes pour l’Enfance et proche de la Manif pour Tous ; Anne-Laure Bloch, intervenue, comme Olivia Sarton et Aude Mirkovic, à la manifestation du collectif anti-PMA “Marchons Enfants”. 

Quant au premier relai historique de l’Observatoire Petite Sirène ainsi créé, Google garde la trace du site P@ternet, le 4 mars 2021, cofondé par des militants des “combats des pères”, également militants royalistes, relayant nombre d’articles anti-avortementanti-féministesanti-PMA ; relais également de La Manif pour TousJuristes pour l’EnfanceAlliance VITAAssociations Familiales CatholiquesSOS Papa, etc. Les premiers signataires de l’appel de l’Observatoire Petite Sirène ne pouvaient ignorer les liens entre P@ternet et cet Observatoire : l’appel à signatures lui-même, mal conçu, laissait apparaître aux yeux de tous le réseau P@ternet comme son concepteur. Ainsi, Céline Masson, comme Caroline Eliacheff, co-fondatrices, ne pouvaient – et ne peuvent – pas nier les liens qui les unissent à une mouvance anti-républicaine, profondément ancrée à l’extrême-droite, opposée aux droits des femmes et des minorités de genre.

La promotion des thérapies de conversion

Que dit cet “observatoire” ? Sous couvert “d’observation des discours idéologiques”, son sujet de préoccupation quasi-exclusif est, comme son site permet de le constater, la “dysphorie de genre”. Ce vocable obsolète renvoie à une conceptualisation, datée et scientifiquement invalidée depuis, de la transidentité en affection psychiatrique. Les personnes trans sont reléguées ainsi au rang de malades mentales et pour lesquelles une thérapie pourrait être trouvée. A toute maladie, il existerait un remède. Là se situe le coeur de l’activisme de “l’Observatoire Petite Sirène” : justifier auprès du grand public et sous couvert de traitement d’une maladie mentale, l’usage de thérapies de conversion contre les personnes trans, et plus particulièrement contre les enfants et adolescent•e•s trans.

A cet égard, un guide diffusé par la “Petite Sirène” à destination des “psychothérapeutes et conseillers”, nombreux parmi les signataires de l’appel, “propose une approche psychothérapeutique qui soutient la personne dans l’acceptation de son sexe biologique comme le traitement de première intention le plus adapté aux jeunes qui présentent des souffrances liées au genre”. Non seulement le contenu de la brochure n’est pas fondé sur les données acquises de la science mais il pourrait également caractériser une infraction. La loi votée au 31 janvier 2022, “interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne”, dispose clairement que les thérapies de conversion sont illégales :

« Le fait de donner des consultations ou de prescrire des traitements en prétendant pouvoir modifier ou réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

« L’infraction prévue au premier alinéa n’est pas constituée lorsque le professionnel de santé invite seulement à la réflexion et à la prudence, eu égard notamment à son jeune âge, la personne qui s’interroge sur son identité de genre et qui envisage un parcours médical tendant au changement de sexe.

« Une interdiction d’exercer la profession de médecin peut également être prononcée, pour une durée ne pouvant excéder dix ans, à l’encontre des personnes physiques coupables de l’infraction prévue au même premier alinéa.

« Les faits mentionnés audit premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis au préjudice d’un mineur ou d’une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, à un état de grossesse ou à la précarité de sa situation économique ou sociale, est apparente ou connue de leur auteur. »Art. L. 4163-11 du Code de Santé Publique

Ainsi, si la loi permet d’inviter une jeune personne à la réflexion et à la prudence quant à une éventuelle transition médicale, en aucun cas cela ne justifie pour les psychothérapeutes de chercher systématiquement, en “première intention”, la répression de l’identité de genre d’une personne transLa thérapie de conversion est ici caractérisée, et la “Petite Sirène” en fait la promotion, sur des supports numériques, ce qui est, là encore un facteur aggravant pour la loi :

 “Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis :

1° au préjudice d’un mineur (…)

5° par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique.”Art. 225-4-13 du Code Pénal

Des pratiques nuisibles 
à la santé des jeunes trans

Il est à noter toutefois que, s’agissant de l’article 225-4-13 du Code Pénal, les pratiques délictueuses doivent avoir pour effet “une altération de la santé physique ou mentale” pour être sanctionnées pénalement. Or, il est largement démontré que ces thérapies de conversion sont nuisibles à la santé de la personne : dans une étude publiée en 2020 par la prestigieuse revue JAMA Psychiatry, portant sur 27 715 personnes trans, Jack Turban et coll. ont mis à jour les faits suivants :

  • 20% des personnes trans ont subi des efforts de pratiques de conversion
  • Les personnes trans ayant subi des efforts de pratiques de conversion ont un risque plus grand de moitié de vivre en détresse psychologique sévère que les autres personnes trans
  • Les personnes trans ayant subi des efforts de pratiques de conversion ont 2 fois plus de risque de tenter de se suicider que les autres personnes trans
  • Les personnes trans ayant subi des efforts de pratiques de conversion avant 10 ans ont 4 fois plus de risques de tenter de se suicider
  • Les efforts de pratiques de conversion menées par des professionnels de santé n’engendrent pas moins de dégâts que celles réalisées par des conseillers religieux

Les recommandations des sociétés savantes internationales, qui, a contrario de la “Petite Sirène”, se fondent de façon exhaustive sur l’ensemble de la littérature scientifique consacrée, pondéré en fonction du niveau de preuve des études, sont unanimes en regard de la nocivité des thérapies de conversion réprimant l’identité de genre :

  • Association Médicale Mondiale : « L’AMM rejette clairement toute forme de traitement coercitif ou de modification forcée du comportement. Les soins des transsexuels (sic) visent à permettre à ces personnes d’avoir la meilleure qualité de vie possible. Les Associations Médicales Nationales devraient agir dans leurs pays afin d’identifier et combattre les obstacles aux soins. »
  • Standards de soins de la WPATH (Association Mondiale des Professionnels de la Santé Trans) : « Par le passé, des traitements ont tenté, sans succès à court ni à long-terme, de mettre en congruence le sexe d’assignation à la naissance avec l’identité et l’expression de genre (Gelder & Marks, 1969; Greenson, 1964) (Cohen-Kettenis & Kuiper, 1984; Pauly, 1965). Ce type de traitement n’est plus considéré comme éthique. »
  • American Academy of Child and Adolescent Psychiatry (AACAP). “Conversion Therapy: Policy Statement”
  • American Medical Association (AMA). Health Care Needs of Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender and Queer Populations H-160.991.
  • American Psychoanalytic Association (APsaA) Position Statement on Attempts to Change Sexual Orientation, Gender Identity, or Gender Expression
  • American Psychological Association (APA) APA RESOLUTION on Gender Identity Change Efforts

Il est à noter que, les  approches légales uniquement fondées sur l’attente vigilance – c’est-à-dire visant uniquement “la réflexion et la prudence” au sens du législateur – sont également nuisibles sur la santé des jeunes personnes trans, par rapport aux approches trans-affirmatives, qui autorisent la prescription d’hormones. La juriste et bioéthicienne Florence Ashley écrit ainsi à propos de ces dernières :  “De nombreuses études confirment que ces interventions ont d’importants effets positifs sur la santé mentale tant chez les adolescent•e•s que les adultes, alors que la transition sociale est associée à des avantages similaires. Sur le plan de la transition médicale, on parle d’une réduction d’idéations suicidaires de l’ordre de 60 à 70%. Dans une population dont le taux de tentatives de suicide par année est de 21% pour un taux cumulatif de 40%, ces interventions sont plus que nécessaires.”

Une revue de la littérature publiée en 2016 dans la prestigieuse revue The Lancet, mettait en avant que “le risque lié au retard de traitement est bien plus important que celui lié à la délivrance d’hormones et à la chirurgie” et citait également une étude belge de 2006 où le risque suicidaire était réduit de plus de 80%.

De plus, les études de terrain réalisées avec l’Organisation Mondiale de la Santé à l’occasion de la révision de la Classification Internationale des Maladies ont mis en évidence qu’imposer un délai long représentait une “exigence contraignante […] et inutile” et augmentait les risques pour les personnes. Sur cette base, le délai diagnostic a été réduit de 2 ans à 6 mois pour les adolescents et adultes. On peut noter qu’avant cela, le DSM-V de l’American Psychiatric Association avait déjà réduit le délai d’évaluation pour les mêmes raisons.

Des tentatives de lobbying

Le collectif “Petite Sirène”, loin de se laisser impressionner par les chiffres relatifs à la morbidité des thérapies de conversion, dont nous rappelons qu’elles augmentent de près de 300% le risque suicidaire chez l’enfant trans, a défendu les psychothérapies de conversion. L’enquête de Mediapart relève le lobbying important réalisé par le collectif “Petite Sirène” au Parlement lors de l’examen de la loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, afin “de supprimer dans la proposition de loi toute référence à l’identité de genre”. Un courrier de “l’observatoire” adressé aux parlementaires le justifie en prétendant que “La proposition de loi empêcherait la prise en charge des mineurs souffrant de dysphorie de genre”. Sachant que leur brochure destinée aux psys révèle vouloir obtenir des jeunes trans “l’acceptation de leur sexe biologique comme traitement de première intention”, retirer toute référence à l’identité de genre dans la proposition de loi aurait permis de légaliser complètement les violentes thérapies de conversion anti-trans que promeut la “Petite Sirène”.

Des amalgames trompeurs

Pour qui s’intéresse à la méthodologie, la démarche scientifique de la “Petite Sirène” prêterait à sourire, si ses conséquences n’étaient pas aussi dévastatrices pour la santé des jeunes trans.

Tout au long son appel fondateur, le texte appuie son raisonnement sur le documentaire « Petite Fille », laissant entendre à plusieurs occasions que ce qui est vu à l’écran dans ce documentaire est représentatif de la façon dont sont accompagnés les enfants trans ou en exploration de genre : l’enfant serait immédiatement mis sous bloqueurs, puis mis dans une chaîne de production médicale qui lui ferait prendre des hormones et subir des chirurgies, le tout en à peine deux consultations, malgré son jeune âge, et de façon parfaitement expérimentale.

Les co-auteurs ne peuvent ignorer que l’accompagnement des enfants et ados n’est ni expérimental (le VUMC d’Amsterdam et le CAMH de Toronto sont pionniers en la matière depuis les années 1990), ni imposé, ni linéaire, qu’il est systématiquement  recherché pour chaque option de soin le consentement de l’adolescent•e, et surtout aucun soin n’est jamais proposé aux enfants pré-pubères : il leur est uniquement fourni de l’information et de l’accompagnement dans leur processus exploratoire du genre. 
Ces approches d’exploration et d’affirmation de l’identité de genre ont montré leur intérêt et leur absence de risque pour la santé mentale. Au contraire, de nombreuses associations, soutenues par les approches basées sur les droits humains, ont critiqué fortement le maintien d’une pathologisation des enfants pré-pubères en exploration de genre. Le maintien d’un diagnostic, dans le nouveau chapitre des “affections liées à la santé sexuelle”, a été argumenté par l’OMS pour faciliter l’accès aux soins des enfants et son maintien futur reste incertain. Beaucoup d’associations trans sont d’ailleurs particulièrement critiques de la CIM-11 sur ce point, car elle continue à pathologiser ces enfants pour qui aucune indication pour des hormones, bloqueurs ou chirurgies n’existe à ces âges, et que leurs capacités à décider est encore en construction, tout comme bien souvent, leur compréhension de leur corps dans l’espace social du genre.

A cet égard,  l’appel est bien silencieux sur les milliers de nourrissons et d’enfants  intersexué·e·s auxquels sont administrés sans leur consentement les mêmes soins qui sont reprochés à tort d’être administrés à des enfants en exploration de genre.

Une jurisprudence détournée

A plusieurs reprises, l’appel fait mention du jugement de la Haute Cour de Justice de Londres, dans l’affaire Bell vs. Tavistock, qui opposait Keira Bell, une personne ayant bénéficié d’un parcours transmasculinisant, puis l’ayant regretté, et ayant reproché à l’unité de soins (Tavistock) de ne pas l’avoir davantage contrainte dans ses choix. Au-delà du caractère anecdotique de cette affaire, si ce n’est dans son impact médiatique, du moins dans sa représentativité (plus de 96% des personnes bénéficiant d’accès aux soins trans-affirmatifs n’en expriment aucun regret), il s’agit d’une décision judiciaire qui a remis en cause la capacité des adolescents•e• à formuler une décision médicale éclairée les concernant, et qui a favorisé la judiciarisation de l’accès aux soins pour les mineur•e•s en Grande Bretagne. Cette affaire n’a toutefois jamais remis en cause la nécessité médicale de ces soins pour les personnes qui y ont recours.

Là encore, les co-auteurs ne peuvent pas ignorer les textes de consensus sur l’intérêt en santé que peuvent procurer les soins trans-affirmatifs pour les personnes qui en expriment le besoin. L’appel, n’invoquant aucun texte de consensus, aucune somme de littérature, mais des faits anecdotiques, reprend largement cette décision de la Haute Cour de Justice britannique, sans toutefois mentionner la réponse unitaire qu’en ont faites toutes les plus grandes organisations de professionnels de la santé trans le 1er décembre 2020  (WPATH, EPATH, AusPATH, PATHA, AsiaPATH). Elles y réaffirment les bienfaits en santé psychique de ces soins. Cette décision britannique en première instance, très critiquée et rapidement interprétée comme une impossibilité de prise en charge pour les jeunes trans, a malheureusement démontré l’impact d’une discontinuité de soins : de nombreux appels de détresse ont été reçus par les associations Mermaids et Gendered Intelligence, faisant part de tentatives de suicides.

A peine trois mois après, la cour d’appel a invalidé ce jugement. Le 5 mai 2022, la demande de Keira Bell de se pourvoir auprès de la Cour Suprême lui fut refusée, “aucun élément de loi le justifiant”, fermant définitivement l’affaire Bell vs. Tavistock.Le système de santé s’est réadapté. Le NHS reconnaît désormais – et à nouveau aux dépositaires de l’autorité parentale – la capacité à décider pour leurs enfants de leurs soins, et donc rend à nouveau inutile l’appel à une judiciarisation de l’accompagnement médical des mineur•e•s. Le NHS en revient donc à sa pratique ex ante la décision Bell vs. Tavistock. 

Aux Etats-Unis, dans le même climat législatif, de nombreuses tentatives de suicides d’enfants et adolescents ont été observées lors de l’annonce par certains États de l’interdiction de soins affirmatifs pour la jeunesse trans.

Il est utile de citer l’injonction récente qui s’est opposée à la mise en application d’une loi criminalisant l’accès aux soins aux mineurs trans en Alabama : “sans les traitements de transition, les demandeurs mineurs risquent de subir de graves conséquences médicales, notamment l’anxiété, la dépression, les troubles alimentaires, la consommation de substances, les comportements auto-agressifs et le suicide. De plus, les preuves montrent que les demandeurs mineurs souffriront d’une détérioration significative de leurs relations familiales et de leurs performances scolaires. La Cour conclut donc que les parents plaignants et les mineurs plaignants subiront un préjudice irréparable en l’absence d’une injonction provisoire.”

Tant dans le suivi des études scientifiques que des actualités judiciaires, l’appel de la “Petite Sirène”, toujours en ligne, ne rend absolument pas compte de ces évolutions.

Un fondement scientifique dévoyé

L’appel de la “Petite Sirène” ne cite aucune recommandation internationale, et dit à tort que celles-ci sont « controversées », sans en faire la démonstration. Elle ne cite pour seule preuve qu’une étude prétendument retoquée sur les bienfaits des soins affirmateurs de genre : celle de Branstrom & Pachankis. Pour autant, l’éditorial de  son éditeur, l’American Journal of Psychiatry, s’il reconnaît, avec sagesse, des difficultés générales à l’inférence causale, n’a apporté comme correction réelle dans l’article de Branstrom & Pachankis qu’une coquille relative à un pourcentage. L’American Journal of Psychiatry, résume l’état des connaissances autour de ce sujet ici.

L’appel ne se prive pas en revanche de citer des études largement remaniées par l’éditeur après publication. C’est par exemple le cas de l’étude de Littman, concluant que beaucoup de transitions se feraient par “contagion sociale” sur les réseaux sociaux. Il est pour le moins regrettable de s’appuyer sur cette étude, tristement célèbre pour ses failles méthodologiques majeures (les trois quarts des données provenaient de questionnaires envoyés à des parents de jeunes personnes trans sur des sites internet considérant comme présupposé que les approches affirmatives de l’identité de genre seraient nocives et à décourager). L’éditeur, PLOS One, en 2019, a largement corrigé l’article de Littman, et s’est excusé de sa première publication, ce que l’appel ne rend pas compte dans ses écrits.

Dans le même esprit, l’appel affirme par ailleurs que « de nombreuses études sur ce sujet montrent que la majorité des enfants présentant des questionnements quant à leur identité sexuée et les critères d’appartenance à un genre, ne poursuivront pas leur transformation (sic) après la puberté (85%) ». Là encore il est pénible de constater que l’appel refuse de se tenir au courant de l’actualité scientifique sur son sujet de travail.

Les données relatives à cette étude sont celles du CAMH de Toronto, étalées en moyenne de 1989 à 2002. Il s’agissait donc de périodes où le diagnostic s’élaborait sous la grille du DSM-III, DSM-IIIR, ou DSM IV. Ces versions du DSM relatives à ce que le DSM-V appelle aujourd’hui la dysphorie de genre, englobait beaucoup trop de comportements non-conformes de genre, qui ne justifient pas, pour les enfants concernés, de recours à des soins trans-affirmatifs à la venue de l’adolescence. Désormais, les discontinuités de soins hormonaux, ou ceux de désidentification trans, varient autour de 2 à 4% selon les cliniques. Les taux de « désistance » ne font pas de sens, ne sont pas méthodologiquement fondés, et ne sont plus utilisés depuis la revue critique de littérature à ce sujet publiée en 2018 dans la revue de la WPATH. Les taux qui sont encore mesurés, sont par exemple les taux de non-transition des bloqueurs de puberté aux hormones (ils sont de 2% à la GIDS de Londres) ou la discontinuité de l’auto-identification trans (4% à la clinique de Melbourne).  

Il faut noter par ailleurs, que l’article de Singh et al. cité dans l’appel, s’appuie sur les données du CAMH de Toronto, et qu’un des facteurs explicatifs du taux excessif de 85% de « désistance » trouvé dans cette étude tient au fait que cet institut mené par Kenneth Zucker pratiquait des thérapies de conversion, qui ont conduit à plusieurs suicides. La clinique d’identité de genre de Zucker a été fermée en 2015 par le CAMH en raison de ces thérapies de conversion et l’Ontario a depuis interdit toute pratique médicale de ce type. L’American Psychological Association a par ailleurs émis une résolution en février 2021 condamnant fermement ces pratiques et imposant l’affirmation de l’identité de genre comme la seule approche fondée sur les preuves médicales.

Une influence grandissante

Il est particulièrement alarmant que les co-rédacteurs et co-signataires de l’appel se positionnent dans des pratiques illégales au regard des droits humains fondamentaux et nocives au regard de la santé publique. Nous pouvons craindre que les pédopsychiatres et pédiatres de l’observatoire “Petite Sirène” appliquent dans leur clinique quotidienne leurs certitudes idéologiques au détriment de la santé et des droits des jeunes trans.Les co-auteurs de l’appel, refusant de s’appliquer à une évaluation rigoureuse et méthodique de la littérature scientifique consacrée, s’échinent en réalité à confirmer leurs aprioris idéologiques en piochant au sein de la vaste littérature existante les rares auteurs et études dont les résultats vont dans leur sens, tout en ignorant complètement les arguments allant en sens inverse, et en premier lieu les recommandations de bonnes pratiques internationales fondées sur les données acquises de la science. Cette méthode, le cherry-picking, liée au biais de confirmation, résulte en un contenu profondément pseudo-scientifique, et qui, en critiquant abusivement les études démontrant la sur-suicidalité trans, flirte avec le dénialisme.On peut également s’inquiéter de la reprise massive de ces propos par les média qui, in fine, contribue à une désinformation publique. Or, la pandémie que nous venons de traverser nous a permis de comprendre l’importance de disposer de bonnes informations de santé publique.

Au-delà d’une partie de la presse, les institutions de santé apparaissent perméables à ces discours qui s’incrustent jusque dans les congrès scientifiques, à l’image du dernier Congrès Français de Psychiatrie de décembre 2021 où ils ont été repris par la communication du congrès. L’argument scientifique est irrecevable et la présence de la petite sirène dans un congrès scientifique illustre le besoin important de formation et de lutte contre les discriminations au sein des systèmes de santé, qui restent un facteur majeur et central de non-accès aux soins pour les personnes trans.

On ne peut qu’être effaré de voir la prestigieuse Académie Nationale de Médecine reprendre les positions de la Petite Sirène dans un communiqué psychiatrisant a contre courant complet des positions de l’OMS, sans aucune recherche scientifique du bien fondé de ses allégations ni aucune analyse critique telle que développée dans le présent argumentaire.

Ainsi, par son activité ciblée de lobbying, la “petite sirène” utilise le climat de doute et de crise des institutions françaises et le retard historique de notre pays en matière de santé trans pour construire une illusion de légitimité dans le but de nuire.

Le Gouvernement se positionne publiquement contre la “Petite Sirène”

En juin 2022, suite à notre précédente interpellation, nos associations ont pu rencontrer la Délégation Interministérielle de la Lutte contre le Racisme, l’Antisémitisme, et la Haine anti-LGBT (DILCRAH), sous l’autorité directe de la Première Ministre Elisabeth Borne, et exposer la dangerosité et l’illégalité des discours de la “Petite Sirène”.

Le 12 juillet 2022, la DILCRAH et nos associations ont publié un communiqué de presse conjoint, rappelant qu’il est “désormais unanimement reconnu que rendre socialement invisible, nier l’existence de certaines orientations sexuelles ou identités de genre, est constitutif d’un comportement LGBTphobe”.

Par ailleurs, la “Petite Sirène” a été officiellement interpellée par le Gouvernement sur ses pratiques de promotion de thérapies de conversion, dont il rappelle qu’elle est désormais formellement interdite depuis le vote de la loi du 31 janvier 2022 ; et déclare se tenir prêt à saisir le Procureur de la République contre la “Petite Sirène” au titre de l’article 40 du Code de Procédure Pénale.

Nous saluons cette mise au point déterminante du Gouvernement contre un projet ayant pour seul objet la “dysphorie de genre”, comme seul angle la justification de thérapies violentes et illégales visant à réprimer l’identité de genre des personnes trans, et comme méthodes la désinformation, la pseudoscience et le charlatanisme.

Au vu de l’influence majeure de ce groupuscule conservateur, d’ores et déjà capable, comme le dévoile Mediapart, de faire vaciller la protection dûe aux jeunes trans par l’École de la République, et se retrouvant en outre en capacité de mettre en difficulté la lutte contre la hainte anti-LGBT au sein même de l’institution gouvernementale qui en est le fer de lance, il devient urgent pour les institutions publiques comme pour les autorités sanitaires de prendre conscience de la pervasivité, la dangerosité, et l’illégalité des mouvances qui nient et répriment l’identité de genre des jeunes trans. Il en va du salut de ces jeunes.